Estimée à 10,7% en 2022 dans la zone euro, l’inflation touche, sans surprise, le secteur assurantiel européen depuis plusieurs mois. L’intervention des actuaires à plusieurs niveaux, notamment concernant les coûts, la conception des produits, les couvertures, l’évaluation du bilan et la détermination des besoins en capital constitue un point essentiel pour permettre aux compagnies d’assurance de maintenir leur compétitivité.

 
Conséquences de l’inflation pour le secteur assurantiel

Comme les autres secteurs, celui de l’assurance n’est pas épargné par l’inflation. La baisse du pouvoir d’achat, l’augmentation des coûts des sinistres en non-vie et de la couverture médicale, ainsi que la perte d’actifs des marchés sont des exemples de conséquences négatives à court terme qu’il faudra maitriser. En revanche, l’augmentation des taux d’intérêt, par exemple, permet un rendement actif à long terme : en effet, la hausse des taux permet de racheter des obligations à des taux plus élevés. Quant aux produits d’épargne ayant un taux d’intérêt garanti, ceux-ci sont avantageux pour l’épargnant·e et l’assureur, pouvant obtenir un rendement obligataire plus élevé.

En outre, à moyen terme, l’inflation crée une sensibilisation plus accrue aux risques, incitant les consommateur·rice·s à acheter des produits d’assurance vie plus avantageux, comme les unités de compte. Par ce biais, les investissements sont répartis entre plusieurs thématiques d’actifs qui s’adapteront à l’inflation, comme par exemple l’immobilier. L’enveloppe fiscale d’assurance vie des assureurs engendrera donc des flux plus importants.

Enfin, les effets d’une politique monétaire changeante due à l’inflation auront également un impact à la fois sur les provisions techniques et sur les besoins en capital et les outils de gestion dédiés. En effet, étant donné qu’une telle situation n’est pas apparue depuis plus de 20 ans, les méthodes utilisées jusqu’ici ne s’ajustent pas à l’inflation et donc ne permettent pas d’estimer des provisions techniques réalistes. De plus, le rachat de polices d’assurance vie, conséquence directe de la baisse du pouvoir d’achat et de la montée des taux, a un effet sur ces estimations. Concernant les besoins en capital, il est conseillé de revoir les paramètres liés à l’inflation du modèle interne afin de s’assurer de conserver le minimum requis.

En outre l’inflation a des conséquences sur les politiques de gestion des risques et sur les modèles. De façon générale, l’inflation a donc aussi bien des aspects positifs que négatifs.

 
Changements à différents niveaux

Outre les conséquences de l’inflation mentionnées ci-dessus, la pression inflationniste incite les compagnies d’assurance à revoir leur stratégie, notamment concernant les produits proposés et leurs réserves.

Un exemple concret est la compétitivité des assureurs au niveau de garanties proposées. Comprendre d’où viennent ces garanties et déterminer leurs niveaux dans les nouveaux produits sera dès lors primordial. Une solution à cela est de réduire le risque, notamment en prenant davantage en compte l’expérience de l’assuré·e, ou bien en se renseignant auprès des consommateur·rice·s afin de savoir si leurs besoins ont changé et si certaines polices peuvent être rajoutées à d’autres ou si ces derniers sont prêts à changer régulièrement de polices d’assurance. De ce fait, comprendre et suivre le marché à mesure qu’il change est un comportement nécessaire dans un futur où le contexte économique et social est incertain.

Du point de vue de la tarification, les prévisions des primes futures sont également touchées par l’inflation. L’augmentation des coûts dans le cas de règlement de sinistres et d’autres facteurs de risques (i.e. climatique) sont des facteurs à prendre en compte. Cependant, l’affectation reste différente pour les contrats d’assurance vie et non-vie. En non-vie, on constate déjà que certaines primes d’assurance non-vie sont sous-estimées de 8% (source : IABE). Cependant, la durée court terme du contrat permet de s’adapter plus rapidement à l’inflation. L’inflation a un effet prospectif en ce sens. Le cas est différent pour les contrats de plus long terme en assurance vie. Un des défis est notamment de tarifer les contrats futurs de produits à taux garanti de sorte à avoir un rendement sur les primes investies. Dès lors, l’inflation a un effet plutôt rétrospectif du côté vie.

De plus, il est important de considérer l’impact des décisions politiques dans la tarification des produits. Par exemple, Bruno Lemaire, ministre français de l’économie, a notamment décidé d’imposer une limite pour l’indice de l’assurance afin que celui-ci n’augmente pas par rapport à l’indice des prix à la consommation (IPC). Cependant, il est nécessaire d’être extrêmement vigilant lors de l’adaptation des primes, les instances de régulations demandant une justification fondée.

Si nous nous penchons du côté de la solvabilité des assureurs, le constat est clair : l’inflation impacte aussi bien le côté vie que la non-vie. Dans un tel contexte inflationniste, la réassurance peut aider les assureurs, plus particulièrement en échangeant avec les experts sur la mise en place de réserves adéquates. En outre, l’APREF estime que la situation économique actuelle, et éventuellement la stagflation, pourront influencer les prix et le périmètre des couvertures de réassurance. Dès lors, il est nécessaire pour les assureurs de prendre la main et d’interagir davantage avec les réassureurs.

 

“Comprendre et suivre le marché à mesure qu’il change est un comportement nécessaire dans un futur où le contexte économique et social est incertain.”

 

Leviers d’action pour les actuaires

Bien que nous avons abordés les impacts de l’inflation sur le secteur et les changements à adopter au sein des assurances qui en découlent, il est clair que le cœur du métier d’actuaire sera également sujet à des adaptations, quel que soit son degré d’implication dans la chaine de valeur.

Avec l’augmentation du coût des sinistres qui découle de l’augmentation du prix des matières premières et des pièces automobiles, il serait utile de reconsidérer la manière dont ces derniers sont gérés. Les actuaires travaillant sur cet aspect peuvent particulièrement essayer de trouver d’autres budgets dans lesquels puiser et opter pour une nouvelle manière de retarifer les nouveaux produits après l’inflation. La compagnie d’assurance peut également changer sa politique de tarification en optant pour une vue plus compétitive par rapport à ce que font d’autres compagnies d’assurance, ou bien décider du nombre de branche de produits que l’on décide d’augmenter pour conserver son nombre d’assuré·e·s.

Au niveau de la tarification non-vie, il est conseillé d’utiliser des techniques d’extrapolation qui prennent déjà en compte l’inflation. Adapter les flux de trésorerie passés à l’inflation actuelle dans les modèles est une autre méthode simple à appliquer. De manière générale, il est tout aussi intéressant de considérer les chiffres du passé comme étant de bons indicateurs concernant le comportement des prix futurs. Une autre manière est d’utiliser la tarification des swaps d’inflation et des obligations indexées afin de mieux estimer l’inflation future.

Si nous abordons la stratégie de gestion actif-passif, une autre étape nécessaire concerne la modélisation de l’inflation. Certains modèles permettent de lier l’inflation par les taux. En effet,  utiliser les modèles LMM ou Vasicek permet de modéliser les taux réels et les taux nominaux pour déterminer l’inflation. En outre, déterminer simultanément les taux réels, nominaux et l’inflation est également possible via des modèles autorégressifs tel que le modèle de Jarrow-Yildirim. Enfin, utiliser des swaps d’inflation qui échangent une inflation fluctuante contre une inflation fixe permet d’obtenir des prédictions plus précises car cela réduit la volatilité future.

De plus, bien qu’il y ait un effet de l’inflation sur le passif, notamment au niveau des produits, la couverture de l’actif reste encore trop faible. Naturellement, certains éléments pourraient servir de couverture naturelle. Par exemple, des produits indexés inflation, des produits taux ou encore des actions avec un fort pouvoir de tarification pourraient être le cas, mais ils restent encore très rares. Concernant les actions, un travail de réflexion plus poussé doit être mené étant donné que la classification des risques n’est pas aussi claire que pour le risque crédit et ses notations financières. Dès lors, il est nécessaire de capter les facteurs de risques permettant d’identifier les actions plus sensibles à l’inflation. Cependant, accorder de l’attention à ces derniers peut permettre une avancée considérable et une meilleure visibilité dans un tel contexte.

Enfin, il est intéressant d’avoir une réflexion globale sur la manière dont on peut augmenter les réserves et sur la manière dont cela est mis en place. Au même titre que l’ajustement des primes des produits d’assurance, la constitution des réserves est un élément essentiel pour faire face à l’inflation, même si cette dernière viendrait à s’affaiblir.

 

“Dans la réflexion globale, il est important d’assumer que ces conditions, telles que nous les connaissons actuellement, reviendront dans un futur plus ou moins proche, notamment avec les conséquences déjà visibles du réchauffement climatique.”

 

Mot de la fin

L’inflation ne risque pas de nous quitter de sitôt, au même titre que le chaos économique et social qu’elle a causé. Chaque acteur dans l’industrie financière doit la prendre en compte pour tenter d’améliorer le confort de vie des citoyens et la pérennité des entreprises. Dans la position d’actuaire, adapter sa réflexion stratégique et apporter des changements aux méthodes utilisées dans le travail quotidien sont des actions majeures pour atteindre ces mêmes objectifs.

Dans la réflexion globale, il est important d’assumer que ces conditions, telles que nous les connaissons actuellement, reviendront dans un futur plus ou moins proche, notamment avec les conséquences déjà visibles du réchauffement climatique. Les actuaires seront de plus en plus confrontés à ce genre d’évènement qui fait varier les taux et qui engendre une instabilité côté actif. Dès lors, il est crucial de tenir compte de ces évènements et donc d’anticiper plus de volatilité des marchés. C’est en autre ce que rappelle l’Association Actuarielle Européenne avec ces mots: « En tant qu’actuaires, nous avons peut-être passé trop de temps à penser que le risque d’inflation appartenait au passé. Après tout, l’histoire nous a appris qu’au moment où l’on pense avoir maîtrisé un problème, celui-ci peut revenir avec une force inattendue… ».

 
 
Sources

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