En quelques années, Mathieu Lambert s’est fait très rapidement un nom dans le milieu de l’assurance et sur le plan international. Après 10 ans passés chez Axa, principalement en Belgique, Mathieu vient tout juste de donner un nouvel élan à sa carrière en acceptant le poste de Directeur chez Deloitte Consulting. Interview avec un informaticien et ancien gamer fan de « Counter Strike » à la carrière actuarielle remarquable.
Bonjour Mathieu, parle-nous de tes débuts dans le monde de l’actuariat.
Mon parcours est assez atypique. J’ai commencé par une licence en informatique pour me diriger ensuite vers l’actuariat. Une fois mon diplôme en poche, j’ai rejoint Reacfin, une entreprise belge de consultance en actuariat. J’ai pu y faire mes premières armes en tant que Consultant chargé de missions très pratiques telles que le développement de modèle et de reporting. Ce type de missions permet d’acquérir les bons réflexes surtout quand on sort de l’université sans aucune expérience. Après 3 ans en consultance, AXA m’a proposé de prendre la responsabilité du risk management non-vie. C’était, à mon âge, une opportunité que je ne pouvais pas refuser. On était en plein dans « l’âge d’or du risk management » ; une période marquée par l’implémentation de la directive Solvency II.
Tout au long de ma carrière, j’ai toujours eu le souhait de me rapprocher du terrain afin de mieux comprendre la manière dont un actuaire pouvait avoir un impact positif vis-à-vis des courtiers et des clients. AXA Groupe m’a alors proposé de partir en mission à l’étranger. J’ai commencé pour AXA Direct UK à Londres où j’ai participé au développement de leur projet « dynamic pricing ». Le marché anglais est un marché très agressif et price sensitive. Les anglais achètent leur contrat d’assurance comme ils achètent leur billet d’avion sur des plateformes spécialisées appelées « agrégateur ». Ensuite, direction la Turquie où j’ai dû mettre en place une équipe pricing inexistante et soutenir les équipes reserving.
De retour en Belgique en 2016, je prends la responsabilité des équipes pricing pour AXA Belgium sur les activités Retail IARD. Très rapidement, on me donne la gestion des Data Scientists, une équipe qui était décentralisée. Toujours avec cette volonté de mieux comprendre le fonctionnement de l’industrie et de sa réalité de terrain, je prends la responsabilité de la protection juridique où je suis en charge des équipes opérationnelles sinistres, produit et innovation.
Comparé au parcours classique d’un actuaire, tu as évolué très vite et es devenu manager à un très jeune âge. Quel est le secret de ta réussite ?
On est maître de sa propre carrière et on récolte les fruits que l’on sème. C’est donc pour moi une question d’investissement. Si on s’investit dans une entreprise avec l’objectif de grandir, on arrive en général à évoluer de manière positive. Je conseillerais de ne pas hésiter à se réinventer, se remettre en question, accepter les revers pour mieux rebondir et garder cette soif d’apprendre. De plus, il est important de voir son évolution de manière collective. On ne grandit jamais seul mais bien avec l’aide de son équipe. Le respect mutuel est donc primordial.
As-tu rencontré des défis particuliers en passant aussi vite à des fonctions managériales ?
Au fil de ma carrière, j’ai toujours été amené à manager des personnes plus âgées que moi. Il est important de gagner leur confiance par la crédibilité. Je pense y être parvenu en identifiant rapidement les missions où les équipes ont besoin d’aide afin de les soutenir en me montrant disponible. En effet, je n’hésite pas à me charger moi-même d’une tâche lorsque l’équipe est débordée. J’ai toujours privilégié cet esprit d’équipe avec mes collaborateurs en agissant comme un coach et non comme un chef. Les victoires se partagent alors ensemble et non individuellement.
Conseillerais-tu aux actuaires de se spécialiser dans une expertise bien particulière ou d’élargir leur éventail de compétences pour développer leur carrière ?
Les deux ont une valeur énorme pour une entreprise. Tout dépend de leurs aspirations personnelles. Si on a plutôt une carrière de spécialiste, je conseillerais de s’hyper-spécialiser pour être reconnu comme spécialiste dans son domaine et auprès de ses pairs. Si par contre, on est généraliste comme moi, il faut alors s’assurer de comprendre les multiples facettes d’une compagnie d’assurance pour pouvoir apporter un maximum de valeur dans ses choix stratégiques.
AXA Group est une entreprise qui a énormément investi dans la data ces dernières années, quel apprentissage retiens-tu de ta fonction de Chief Data Analytics ?
Aujourd’hui, une compagnie d’assurance ne sait plus exister sans données. Ce constat sera encore plus vrai demain. Les investissements dans la Data sont de plus en plus massifs. Il est pour moi critique et central dans la stratégie d’une compagnie d’assurance d’arriver à bien connaître ses clients et son marché au travers de la collecte de données. Un des défis sera d’arriver à bien gérer, utiliser et surtout exploiter ses données afin de se différencier de ses concurrents.
Une expérience qui t’as le plus marquée au fil de ta carrière ?
Mes expériences internationales ont été les plus marquantes. On s’enrichit des autres cultures en découvrant d’autres contextes de marché. Les collègues ne s’adaptent pas à toi. C’est toi qui doit t’adapter très vite pour répondre de manière consciencieuse et cohérente aux problèmes des équipes dans le respect des valeurs et de la culture locale.
Une anecdote à nous raconter ?
Malgré le fait que je sois informaticien, actuaire et un peu geek sur le côté, j’ai toujours été passionné par tout ce qui était programme de transformation culturelle. Il y a quelques années, lorsqu’AXA a lancé un programme, j’ai été invité à être coach. Cette expérience a marqué mes premiers pas sur tout l’intérêt que je porte au leadership. Hier, on pouvait travailler de manière hiérarchique. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. La manière de motiver les employés varie complètement en fonction des générations.
Une leçon apprise durant ta carrière ?
Savoir profiter de ses expériences qu’elles soient positives ou négatives pour pouvoir continuer à évoluer.
Si tu pouvais changer une chose dans ton métier ?
Je dirais la dimension internationale. Les voyages me manquent !
Une idée de ce que réserve l’avenir pour les actuaires ?
L’épisode des dernières inondations européennes donne parfaitement le ton. Un actuaire reste pour moi central dans le métier d’une compagnie d’assurance sur plusieurs plans. Parvenir à évaluer les risques est une épreuve de plus en plus critique face à des risques en pleine mutation et aux fréquences aléatoires. L’actuaire de demain devra également maîtriser toutes les données à sa disposition pour modéliser au mieux les réalités du marché.
Des projets futurs ?
J’ai récemment décidé d’aller un pas plus loin dans ma carrière en quittant AXA pour me relancer dans le conseil auprès de Deloitte avec une volonté de m’axer sur des grands projets de transformation. Mon ambition est d’avoir un impact sur l’ensemble de la chaîne de valeur au niveau de l’assurance.
Félicitations pour ce nouveau challenge ! Je te propose de clôturer cette interview par notre question signature, celle qu’on pose à tout le monde. Que ce soit sur le plan personnel ou professionnel : Qu’est-ce que tu aimerais oser faire et que tu n’as pas encore fait ?
Partir deux mois en voyage avec ma femme et mes enfants à l’autre bout du monde. (sourire)
Entretien réalisé par Adrien Binon, Décembre 2021