L’urgence climatique n’est plus à prouver depuis quelques années. Cependant, la pluie d’évènements climatiques désastreux auxquels les assureurs et réassureurs ont dû faire face ces derniers temps a démontré l’importance de considérer le changement climatique et ses nombreux effets pour le secteur.
L’ennemi numéro un : le risque
En effet, de plus en plus d’évènements climatiques tels que des sécheresses importantes, des incendies ou encore des inondations ont eu lieu ces derniers mois. Ces évènements (dont le coût s’élève à 10,6 milliards d’euros en France en 2022, Source : France Assureurs) ont eu des conséquences majeures en assurance dommages, notamment avec l’augmentation des sinistres et leur sévérité. Mais les conséquences ne s’arrêtent pas là. Le changement climatique et l’importance de la transition écologique, qui résonnent au cœur des discours politiques et économiques, ont aussi des conséquences sur la gestion tant à l’actif qu’au passif. Cette transition écologique influence le risque de transition, physique et de responsabilité, et entraine une dépréciation des actifs. Par ailleurs, le risque climatique a des conséquences sur la modélisation des engagements liés aux risques de morbidité, de longévité et de mortalité.
Ces observations révèlent l’importance d’intégrer le risque climatique dans l’ERM des compagnies d’assurance, ainsi que d’implémenter des techniques de mitigation des risques.
“Le coût s’élève à 10,6 milliards d’euros en France en 2022.”
Contraintes réglementaires
Intégrer ce risque est primordial pour les assureurs, mais ces derniers doivent également suivre la réglementation. En effet, la transition écologique s’inscrit également dans les différentes normes auxquelles le secteur assurantiel est soumis, quel que soit l’échelon sur lequel chaque acteur se trouve.
La DDA (Directive sur la Distribution d’Assurance) exige notamment que les distributeurs de produits d’assurance tiennent compte des préférences des clients en matière de durabilité et d’impact écologique. La situation est similaire avec la MiFID II (Markets in Financial Instruments Directive) qui impose une prise de conscience à l’égard des investissements.
En outre, les lois locales, comme l’introduction de la loi Pacte en France, impactent à leur tour ce marché. Par exemple, la loi Pacte introduit un besoin fondamental de transparence à l’égard des clients concernant l’aspect écologique des produits d’assurance vie, dans le cadre du lancement du Plan Épargne Retraite (PER). De plus, la loi énergie-climat impose aux entreprises d’établir un reporting extra-financier pour communiquer de manière efficace et transparente sur les principes ESG de l’entreprise.
Au niveau européen, les risques de durabilité, qui prennent en compte le domaine environnemental, social ou de gouvernance, influencent également les travaux de Solvabilité II, notamment ses premier et troisième piliers. Dans le courant de cette année, des ajustements concernant les calculs des SCR et MCR auraient notamment lieu.
Outre la réglementation, certains acteurs majeurs du secteur ont pris part à diverses initiatives, telles que les Principes pour l’investissement responsable pour rendre leurs investissements neutres en carbone. Tout ceci révèle que le secteur est déjà bien imprégné de la considération écologique et se conscientise peu à peu à ce sujet. Cependant, il reste tout de même des zones à investiguer afin de rendre le secteur de l’assurance plus vert.
Ce qui est déjà mis en œuvre
Investissements verts
Rendre ses investissements neutres en carbone d’un point de vue anthropique, voilà une des actions à entreprendre dans le cadre d’une stratégie d’investissement durable. Investir de manière durable ne s’arrête pas là. En effet, la réglementation européenne oblige la transparence quant aux assureurs qui investissent leurs actifs dans des projets plus durables. En France, l’article 29 de la loi énergie-climat impose un reporting extra-financier concernant le respect des critères ESG dans la politique d’investissement.
Produits adaptés aux préférences du client en matière de durabilité
Outre la nature durable des investissements, tenir compte de la durabilité dans le développement des produits et dans l’offre proposée aux clients a récemment fait l’objet d’une nouveauté réglementaire. Un premier point sur lequel se concentrer afin de tendre vers cette pratique, et qui est notamment recommandé par le régulateur, est de tenir compte de l’avis des clients qui vont souscrire aux produits. Ce point semble être évident mais en l’occurrence, si cet aspect est de plus en plus mis en exergue, cela constitue un point d’attention crucial pour les compagnies d’assurance et les distributeurs.
Sur le marché européen, des produits qui présentent des caractéristiques ESG sont déjà en vente, dont des produits d’assurance vie, épargne et pension, ou encore des assurances habitation. Cependant, il n’est pas toujours clair pour les consommateurs du degré de durabilité de ces produits. En effet, le rapport sur les habitudes des consommateurs publié par l’EIOPA souligne notamment que 75% des consommateurs interrogés ne peuvent pas déterminer si un produit est réellement durable en raison de la documentation trop complexe. En outre, 64% d’entre eux estiment que ce type de produits fait partie de la tendance de greenwashing. Dans l’objectif d’aller encore plus loin dans cette démarche, tout en étant totalement transparent à l’égard du client, des indicateurs de gestion concernant la durabilité peuvent être implémentés.
D’une façon plus globale, l’inquiétude climatique qui touche le secteur implique que le développement de produits et leurs caractéristiques correspondent aux besoins des clients, des entreprises, des personnes vulnérables, des régulateurs et des gouvernements. Il faut donc avoir une vision suffisamment globale et stratégique pour lier ces divers intérêts. Ce besoin de transparence ESG découle notamment de la directive SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation), mise partiellement en application depuis 2021.
Solvabilité
Comme mentionné plus haut dans cet article, les risques et enjeux climatiques ont des conséquences sur la solvabilité des compagnies d’assurance, en plus des autres aspects. En outre, intégrer le risque climatique à court et à long terme dans le rapport ORSA devrait être une pratique de plus en plus commune au sein du secteur. L’amendement au règlement Solvabilité 2 est également entré en application en août 2022.
En revanche, il est clair que les assureurs doivent tenir compte de ces risques dans les outils utilisés pour modéliser leur solvabilité. Lors des projections de perte, il faut apporter une perspective claire concernant les nouveaux risques auxquels faire face, ainsi que leur lien avec les risques traditionnels et avoir une vue sur le capital de la compagnie par le biais de stress test. Cependant, la difficulté réside, à court terme, dans la faible visibilité des impacts pour certains acteurs et peut conduire à ne pas évaluer le risque climatique dans l’ORSA. Dès lors, l’EIOPA incite les assureurs à anticiper les impacts de tous les risques de long terme, presque immuables, et à construire la trajectoire afin d’intégrer ces risques dans leurs modèles, ne serait-ce que pour pallier au manque de données à cet égard.
“Intégrer le risque climatique à court et à long terme dans le rapport ORSA devrait être une pratique de plus en plus commune au sein du secteur.”
La possibilité pour le secteur de se développer
La transition écologique, fortement encouragée par les autorités, peut permettre au secteur de l’assurance de se développer. Plus particulièrement, l’urgence climatique a permis à de nouveaux marchés de se développer, e.g. le marché du carbone. Dans ce cas de figure, les compagnies d’assurance pourraient aider ce type de marché à se développer, notamment car elles pourraient être amenées à proposer des assurances au fur et à mesure que les investissements dans les technologies utilisées sur ce type de marché augmentent.
Outre cet aspect, les compagnies d’assurance ont un réel rôle de conseil à jouer afin d’aider leurs clients à réduire leur exposition au risque climatique et de réduire par ailleurs les pertes liées à de telles catastrophes. En augmentant davantage la connaissance de ce risque et en parvenant à le maitriser, le secteur aurait une porte d’entrée pour croitre et proposer un service en matière de conseil en ingénierie du risque. Cela pourrait notamment concerner des conseils en matière de construction, ou bien après un sinistre, conseiller un endroit moins vulnérable lors de la reconstruction. Cela est d’autant plus utile et nécessaire lorsque les acteurs du marché affirment eux-mêmes que des zones sont non-assurées car le coût pour le faire est trop élevé et que les assurés sont moins bien protégés.
Évidemment, le risque climatique a des conséquences sur les assureurs et réassureurs et par conséquent, sur le travail de l’actuaire. Dès lors, il faut également saisir cette question comme une opportunité, par exemple de développer des modèles prospectifs des risques pour les actifs physiques. Par ailleurs, ce changement implique de considérer ces impacts au-delà de l’aspect financier. En effet, bien qu’il y ait des recommandations et des règles imposées par les régulateurs sur différents aspects (tarification, provisionnement, développement produit, etc.), il est judicieux d’adapter son travail en percevant le phénomène dans sa globalité et en intégrant les influences du phénomène sur chaque élément impliqué. Par exemple, en revoyant l’adaptabilité des modèles vis-à-vis du risque climatique en adoptant l’approche de la pensée systémique.
Ce changement d’approche imposé par la présence de plus en plus importante du risque climatique permet également de créer de nouveaux produits, qui promeuvent des solutions innovantes, et de les tarifer en concordance avec les intérêts environnementaux.
De façon globale, intégrer le risque climatique dans les modèles et en tenir compte dans les polices d’assurance sont deux actions nécessaires pour le bon développement du secteur. Il est vrai que le manque de données peut ralentir le développement, mais au vu des nombreux et divers effets du changement climatique, adapter dès à présent ses hypothèses pour conseiller les entreprises d’assurance en matière de financement, d’investissement de développement de produits est indispensable.
Sources :
Institut des actuaires, L’actuaire, acteur clé de la transition climatique
Quelles stratégies de rebond pour l’assurance vie avec la loi Pacte et la finance durable? (Analyse)
L’Investissement Durable et les Assureurs
Comment les assureurs vont verdir leurs offres
Pourquoi les assureurs accordent-ils autant d’importance à la durabilité
How P&C insurers can protect and power our journey to a more sustainable world
Playing our part: actuaries on a sustainable journey
Importance of climate-related risks for actuaries
Capturing the climate opportunity in insurance
La gouvernance des risques liés au changement climatique dans le secteur de l’assurance
Risque climatique – L’appréhender en pratique dans l’assurance
L’institut des actuaires – Quel rôle pour l’actuaire face aux risques climatiques ?
Changement climatique : quand le risque devient incalculable, et le sinistre ingérable